C'est parce qu'elle est un ange qu'elle est arrivée au Grand Rex en volant ; du haut, elle aurait observé les centaines de personnes (cubes de glace empilés) qui attendaient impaciemment l'ouverture des portes Boulevard Poissonnière, puis une fois dans sa loge, elle aurait enlevé ses ailes, avant de se produire sur scène et nous transporter à l'autre bout du monde, pendant les 120 minutes les plus bouleversantes et enivrantes que je me souvienne avoir vécu cette année.
C'était mon premier concert d'Emily Loizeau. Mon premier Grand Rex aussi. Je ne sais pas comment ça se passe dans des salles plus petites, je ne peux pas comparer, mais ma foi, je me suis retrouvée dans une ambiance chaleureuse. J'ai pris place niveau orchestre, centre-gauche, en face du piano. Pas loin, la famille et Andrew Bird. Sur le fond de musique de Charlotte Gainsbourg, je pensais à trois choses: tout d'abord, que le Grand Rex était beau (la voûte étoilée, les décors méditerranéens... assez magique), ensuite que les sièges-fauteuils en cuir fauve étaient super confortables et moelleux, avec plein d'espace pour étendre les jambes, et puis finalement ce qui m'excitait le plus, que l'acoustique de la salle allait être incroyable. Et ce fût le cas.
Après un solo envoûtant avec Olivier Koundouno au violoncelle et Josephine West au violon (douce voix, délicieux accent étranger), la petite fée Emily est apparue discrètement sur la scène, a mis en marche le tourne-disque et s'est installée au piano. Vêtue d'une sobre robe noire mi-transparente, scarpins ballerines et les cheveux courts bouclés (mignon ce volume), elle commence son répertoire avec "L'autre bout du monde". Sa voix est en état de grâce. Elle dégage beaucoup d'intensité. Je m'égare. Quand elle arrive à "Je te rejoins quand je m'endors, mais je veux te revoir encore" mon être est renversé.
Le long du concert, Emily sera formidablement acompagnée par ses musiciens, une transparente complicité les unissant: à droite l'élégant Cyril Aveque (avec sa parcimonie et son chapeau) exhibant son savoir-faire délicat à la batterie, et au centre Olivier Koundouno, responsable des arrangements fluides, subtils et harmonieux au violoncelle, visiblement gai de jouer en compagnie de cette grande petite dame.
Je découvre une facilité scénique chez Emily, qui reste très spontanée quand elle s'adresse au public. Les deux milles et quelques personnes qui bondent le Grand Rex ne semblent pas trop l'intimider (peut être qu'elle a le trac intérieurement mais je l'aperçois détendue et c'est tant mieux). Elle parle tout bas, elle fait des blagues sur nos vêtements (et oui, nos meilleures tenues pour l'évènement!), un brin autoritaire nous donne des consignes pour chanter avec elle, nous incite à l'insulter, à danser... Elle se montre sympa, quoi. En plus de proche, franche et anti-star.
On a l'impression qu'elle s'est forgé une extraordinaire personnalité poliédrique avec son riche répertoire: drôle et déchirant à la fois. L'ambivalence fût mise en valeur par les airs cabaretiers qui animaient l'auditoire, déjà enthousiaste avec chacune des chansons, malgré le flot de mélancolie qui les emportaient.
Pas mal de chansons que je ne connaissais pas, car elles ne sont pas sur le disque (donc heureuse d'en avoir quelques unes sur le CD live). Entre autres, l'inquiétante "Un pays sauvage", "Forget me not" la jolie berceuse hypnotisante, "La folie en tête" au refrain très accrochant, mon coup de coeur qui va à "Non, rien" (je suis restée coite avec son interprétation, on dirait une Édith Piaf contemporaine), et surtout à la sublimissime "Summertime", quelle claque! J'aime depuis toujours les chansons qui parlent de fleurs, de la nature etc, et là j'étais vraiment éblouie par la beauté de la mélodie, d'une sensibilité débordante.
J'ai également adoré le relief que prend "Je suis jalouse" en live. Le petit rictus de mépris amusé d'Emily, ses gestes, les grimaces, les mouvements de son corps.
Il est certain que les chansons acquièrent une autre vie en direct, différente. La force et la passion avec lesquelles Mlle Loizeau a interpreté "Pocahontas" et "La complainte des filles de joie" m'ont impressioné. "La complainte des filles de joie" a emporté la salle, c'était le délire dans mon coin. Au risque de me tromper, la chanson la plus applaudie, en tout cas moi j'ai battu énergiquement des mains parce que je n'en revenais pas.
D'autres chansons suggèrent le chemin de la solitude -face à la mort-. C'est le cas de "I'm alive" et "Sur la route", navrantes. Deux chants qui pénètrent l'âme et nous remuent les entrailles. D'une voix fragile, presque éraillée, Emily nous avoue "elle a peur d'oublier" et je sens les larmes inonder le fond de mon regard. C'est tellement compliqué un deuil, souvent contradictoire: la peur d'oublier, face à la douleur du souvenir, face à la culpabilité de l'oubli... enfin, bon. Ça me parle au coeur, car le mien encore très récent.
Et on arrive à l'instant crucial de la soirée, le moment du "Wash it off", celui ou il faut être discipliné(e) et écouter attentivement la prof, puisque c'est thérapique. Emily nous propose de participer à une sorte de catharsis à notre dépression. Il faut chanter au plus fort "shower, shower" pour l'expectorer et qu'elle ne revienne plus. Une catharsis libératrice, donc. Elle appelle Seb Martel pour jouer à la guitarre et son frère Nicolas danceur spécialisé en douche cubaine, qui s'installe derrière un rideau. Nous sommes invités à les rejoindre sur la scène et à proposer notre propre choréo. Bravo pour le couple anonyme qui finalement a osé se laver en public. Moi par contre, j'ai préféré retenir les mouvements somptueux de Nicolas pour les imiter dans l'intimité de ma douche. Seulement jusqu'à hier je ne n'avais pas réalisé à quel point un plateau de douche devient dangereux pour danser. Alors attention, si vous ne voulez pas vous casser la figure, ne prenez pas de risque, pratiquer la safe-shower sur la scène qui ne glisse pas, obéissez mademoiselle quand elle vous interpelle...!
Le concert touchait à sa fin quand Duke Special est revenu faire deux duo avec Emily, en anglais et en français. La première partie dont il était chargé avait été superbe (une authentique révélation). By the way, achetez les yeux fermés le double CD, il est complètement satisfaisant ("Songs from the dep forest" avec un live à la BBC Radio Ulster).
La versatilité musicale d'Emily est devenue évidente, une fois de plus, avec un thème à la flûte. Il y avait une projection très marrante sur l'écran de derrière. Vraiment agréable de constater qu'elle ne se cantonne pas à un style. Suivie des musiciens, elle est descendue à l'orchestre, montée l'escalier en spirale jusqu'au balcon latéral du Grand Rex, pour contempler, émue, son public charmé. Oui, charmé par son charisme.
La fin de Roméo & Juliette avec "Jasseron" et "I'm leaving you" depuis là haut fut ensorcellante.
Les ovations prolongées du public ou encore le beurre qu'elle a fait dans les ventes postérieures du CD live ne seraient que le symptôme d'un grand concert. Evidemment le succès remporté fût à la hauteur de la générosité offerte par chacun des invités, musiciens, techniciens. Un vrai spectacle, une mise en scène soignée et intelligente. J'aurais voulu tatouer sous ma peau tous les frissons de bonheur que l'équipe m'a procuré, puisque j'en avais tellement besoin...! Je garde le sourire à l'âme.
Alors vivement un concert à Barcelona pour la prochaine tournée. Si je peux être utile dans quoi que ce soit... peut-être mettre en contact Furax avec quelques salles chouettes... je pense notamment à la Sala Apolo.
Voilà, un grand merci pour l'accueil à Fanny et à Emily. Dans ma mémoire la gentillesse.
Amicalement,
Marta
PS.1 ) Rod, félicitations pour la pochette. Pascal, tes photos sont superbes aussi.
PS.2 ) Les bavardages sur la ressemblance physique à Mylène Farmer je les ai entendus moi aussi, Derek Smalls. Tu étais donc toi aussi coincé au milieu de la bousculade générale, hein... J'ai perdu au moins trois boutons de ma gabardine ce soir au Grand Rex, mince. Sinon, l'enfant qui pleurait vraiment poignant... voilà pourquoi les papas stréssés devraient écouter en boucle Emily Loizeau!
PS.3) Désolée pour les fautes, j'aimerais être plus à l'aise avec la langue française, histoire de décrire mieux les émotions